Annoncée fièrement lors de la réforme de la fonction publique l'année dernière, la rupture conventionnelle vient de faire son entrée dans le ministère de l’Éducation Nationale. Au Sgen-CFDT, on espérait qu'elle permettrait un renouvellement des pratiques. On est déçu.
La rupture conventionnelle : une pratique à rebours des habitudes
C’était un peu le lot de consolation de la réforme de la fonction publique. Certes, la réforme, à laquelle le Sgen-CFDT s’est opposé, supprimait les commissions paritaires et toutes les possibilités de défense des personnels qui allaient avec. Mais elle introduisait tout de même la possibilité, pour un fonctionnaire, de négocier une rupture conventionnelle avec son employeur.
Dans un ministère comme le nôtre, où tout est prétexte au rapport de force et où tout est régi par une réglementation nationale tatillonne, l’arrivée de cette pratique pouvait presque paraître révolutionnaire. Désormais, un enseignant pourrait choisir de quitter volontairement sa fonction, discuter calmement avec sa hiérarchie de son indemnité de départ et toucher le chômage ! Les réalités du terrain, cependant, se sont révélées bien différentes.
Une réforme bien lente à se mettre en place
On aura tout d’abord dû se montrer particulièrement patient.e.s avant d’avoir des résultats concrets. Le principe de la rupture conventionnelle a en effet été mis en place avec la loi de réforme de la fonction publique du 6 août 2019. Les décrets ont ensuite été publiés au journal officiel le 1er janvier 2020. Il a ensuite fallu attendre le 12 février 2020 pour avoir un modèle de convention au journal officiel. Surtout, avec la crise sanitaire, ce n’est que le 9 juillet 2020 que la circulaire de cadrage a été publiée.
Le résultat fut que, dans l’académie de Versailles, il a fallu attendre septembre pour que les premiers rendez-vous puissent avoir lieu. Mais ces premiers rendez-vous ne marquèrent que le début du processus ! On apprend en effet que ce premier rendez-vous ne servait qu’à présenter sa demande de rupture conventionnelle.
La réponse de l’institution ne sera en effet communiquée, avec le montant éventuel de l’indemnité de rupture conventionnelle, que lors d’un second rendez-vous, qui aura lieu dans les trois mois (autrement dit courant décembre). Dans l’académie de Versailles, nous avons donc des collègues qui ont fait leur demande de rupture conventionnelle dès février… et qui n’auront leur réponse qu’en décembre !
Un vrai problème de financement
La négociation n’étant décidément pas le point fort de la majorité des acteurs de l’Éducation Nationale, le montant de l’indemnité de rupture conventionnelle fut rapidement encadré par des décrets. Ceux-ci définissent son mode de calcul de la façon suivante :
– un quart de mois de rémunération brute par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans ;
– deux cinquièmes de mois de rémunération brute par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans et jusqu’à quinze ans ;
– un demi mois de rémunération brute par année d’ancienneté à partir de quinze ans et jusqu’à vingt ans ;
– trois cinquièmes de mois de rémunération brute par année d’ancienneté à partir de vingt ans et jusqu’à vingt-quatre ans.
Concrètement, un agent qui dispose de 18 ans d’ancienneté pourra prétendre au minimum à 10 x 0,25 + 5 x 0,4 + 3 x 0,5 = 6 mois de salaire brut.
L’indemnité est plafonnée à 24 mois de salaire brut. La référence pour le calcul est le douzième de la rémunération annuelle perçue au cours de l’année civile précédant la demande à l’exclusion de la majoration outre-mer, des remboursements de frais ou d’indemnités de jury.
L’ancienneté retenue est constituée des services effectués dans l’ensemble de la fonction publique (Etat, territoriale ou hospitalière).
L’indemnité n’est pas soumise à cotisation sociale (II de l’art 13 de la loi 2019-1446) dans la limite de deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale (41136 € pour l’année 2020).
Tout cela est bel et bien beau, nous faisant rêver à de belles sommes pour les collègues ayant le plus d’ancienneté. Seulement, le rectorat n’ayant reçu aucune enveloppe pour financer ces ruptures, on se demande d’où l’argent va sortir. Le ministère aussi visiblement, puisque la circulaire du 9 juillet précise que le rectorat devra justifier l’octroi d’une indemnité supérieure au plancher réglementaire. Autrement dit, le plancher sera la règle. De plus, fort est à craindre que nos collègues avec le plus d’ancienneté se voit refuser la rupture conventionnelle… au motif que l’indemnité à leur verser serait trop élevée !
L’autre problème est que l’Éducation Nationale est un employeur qui ne cotise pas pour l’assurance chômage. Cela signifie que, si elle accorde des indemnités de ruptures conventionnelles à ses agents, elle devra donc financer leurs allocations chômages sur ses fonds propres. On peut donc également craindre que des collègues risquent de se voir refuser leurs ruptures conventionnelles… au motif qu’il faudrait leur verser des allocations chômage trop élevées pendant trop longtemps !
Ces craintes se vérifient lorsqu’on regarde les critères d’appréciation pour accepter ou non une rupture conventionnelle, tels qu’ils sont définis par la circulaire du 9 juillet.
Une réforme qui paraît toucher bien peu de personnels de l’Éducation Nationale
Le premier critère est l’ancienneté. A priori, il va à rebours de nos craintes puisque le texte précise que « la demande effectuée par un personnel récemment nommé (…) peut être jugée moins opportune que celle d’un agent disposant d’une plus longue ancienneté de service ». Toutefois, elle précise aussi que « sont exclus du bénéfice de la procédure (…) les fonctionnaires ou contractuels ayant atteint l’âge de départ à la retraite. » Donc il faut avoir de l’ancienneté, mais pas trop. Toutefois, un collègue qui a suffisamment travaillé pour que sa formation ait été rentable, tout en étant suffisamment loin de la retraite pour qu’il ne risque pas de l’attendre en se mettant au chômage, aurait peut-être ses chances.
Le deuxième critère va davantage dans le sens de nos craintes. Il s’agit de la « sécurisation du parcours professionnel ». Le ministère tient donc bien à s’assurer qu’il aura le moins d’indemnités chômage possible à verser. La rupture conventionnelle se présentait comme un accompagnement de la reconversion professionnelle. En réalité, elle se contente de l’acter si celle-ci a déjà eu lieu.
Mais, dans notre académie, c’est probablement le troisième critère définit par la circulaire qui s’avère le plus inquiétant. Il s’agit de la « rareté de la ressource », autrement dit le nombre de collègues exerçant la même profession dans l’académie. Voilà qui, à Versailles, a de quoi faire trembler nos collègues de mathématiques, de physique-chimie, de langues, de plomberie, d’hôtellerie ou des métiers de l’automobile, ainsi que la totalité des professeurs des écoles !
D’une façon globale, étant donnée la très faible attractivité de notre académie, où les barres d’entrée sont parmi les plus basses de France, il y a de quoi se demander si un collègue qui y exerce à la moindre chance d’obtenir une rupture conventionnelle, quelle que soit sa discipline !
Finalement, on peut véritablement s’interroger sur la faisabilité de ce dispositif, voire se demander s’il a véritablement été conçu pour l’Éducation Nationale. Peut-être le gouvernement avait-il en tête d’autres administrations, comme la Direction générale des Finances publiques, actuellement l’objet d’une restructuration profonde. Mais ceci est une autre histoire…
En conclusion, il serait malhonnête de faire miroiter aux collègues une rupture conventionnelle qui, clairement, ne sera pas accordée facilement. On constate que le législateur crée des droits mal adaptés et difficilement accessibles pour les personnel de l’éducation nationale. On constate également le maintien des pratiques descendantes et frontales, dans une situation où la négociation et le consensus aurait pu être possibles, voire bienvenues. Pourquoi infantilise-t-on toujours autant les enseignants ?
Déjà les recours administratifs ont suscité frustration et colère, les ruptures conventionnelles suivent le même chemin.
Malgré tout, au Sgen CFDT, notre expérience du terrain nous a montré qu’il existait quelques fenêtres de tir dans lequel il restait possible de se glisser. N’hésitez pas à nous contacter afin que nos militants vous conseillent afin d’adopter la meilleure stratégie possible en fonction de votre situation particulière. Et, si votre demande a vraiment peu de chances d’aboutir, nous vous le dirons !
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