Rencontre avec Steven MARTIN, militant Sgen-CFDT et professeur en informatique à l’université Paris-Saclay, au sein de la faculté des sciences d’Orsay.
Quel est ton regard sur ce que les étudiant.es ont vécu depuis 2020 ?
Les conditions de vie des étudiant.es ont été particulièrement difficiles du fait des mesures sanitaires qui ont été imposées au monde universitaire. Contrairement aux écoliers, collégiens ou lycéens, ou encore aux jeunes accueillis dans les filières de l’enseignement supérieur hébergées dans les lycées, les étudiant.es à l’université ont subi un confinement sévère.
Les étudiant.es ont vécu une accumulation d’éléments négatifs. Bien sûr, nous connaissons les difficultés liées au suivi des cours à distance avec des accès inégaux aux outils numériques, une concentration impossible à maintenir longtemps devant un écran, une gestion compliquée du temps, la démotivation, le décrochage…
La véritable épreuve a été l’absence de vie étudiante. Le tissu social s’est fortement dégradé.
Mais la véritable épreuve, me semble-t-il, a été l’absence de vie étudiante, pour celles et ceux qui logent dans les résidences universitaires, cloisonné.es dans des chambres exiguës, avec un sentiment de solitude, voire d’abandon, mais aussi pour celles et ceux qui ont été confiné.es par exemple dans leur famille, vivant cette période comme une régression sociale.
Le tissu social s’est fortement dégradé et les événements traditionnellement organisés par la quarantaine d’associations étudiantes du campus d’Orsay ont tous été annulés, mis à part quelques tournois en ligne.
Les étudiant.es ont pâti des restrictions sanitaires dans leurs apprentissages, mais les conséquences, en plus d’être financières par le coup d’arrêt porté à l’activité rémunérée (difficultés à se loger, à se nourrir, ou encore à se soigner), ont également été psychologiques (nervosité, épuisement, angoisse, vision assombrie de l’avenir).
Outils numériques et collaboratifs
Confrontée à cette crise, l’université Paris-Saclay a accéléré le déploiement d’outils numériques et collaboratifs, enseignantes et enseignants se sont adaptés pour assurer une continuité pédagogique. Des dispositifs, financés par la CVEC, ont été rapidement mis en œuvre pour accompagner les étudiant.es financièrement (aides pour l’achat de matériel informatique, pour le paiement du loyer, des repas, du forfait internet) et psychologiquement (cellule d’écoute et d’accompagnement, tutorat).
La Fondation Paris-Saclay Université a permis aussi de recueillir le soutien du monde socio-économique, comme le don de 165 000 masques pour les étudiants, ou encore une collecte solidaire d’ordinateurs pour les étudiants. Des jauges ont également été adoptées pour faire revenir prioritairement celles et ceux qui étaient le plus en difficulté, puis les premières années et enfin les étudiant.es pouvant ou souhaitant bénéficier d’une ou deux journées en présentiel.
Quant aux évaluations, elles ont été réalisées le plus possible en présentiel, afin d’éviter les écueils rencontrés lors du premier confinement.
La continuité pédagogique, indispensable pour maintenir le lien et permettre de réussir malgré la crise que nous traversons, ne s’est pas construite dans le cadre d’une réflexion mûrie et prospective. Elle a permis de pallier l’urgence, avec des initiatives et des projets parfois remarquables, mais globalement, il faut bien avouer que cela s’est traduit par des enseignements plus recentrés, pour permettre l’acquisition des connaissances et des compétences essentielles dans un mode dégradé.
Quelles sont les priorités pour la rentrée 2021 ?
Je vois deux priorités : permettre une reprise en présentiel dans les meilleures conditions d’études et d’enseignement – tout en se préparant au mieux à de nouvelles mesures sanitaires selon l’évolution de la pandémie – et renforcer les dispositifs d’accompagnement pour améliorer le niveau et le taux d’insertion professionnelle de nos étudiant.es.
Un accompagnement renforcé, des recrutements supplémentaire sont indispensables.
Un accueil à 100% sur site des étudiant.es et des personnels de l’établissement nécessite des aménagements spécifiques pour garantir le niveau d’exigence requis : traitement de l’air, organisation des espaces, installation de matériels dédiés, gestion des emplois du temps, etc.
Parallèlement, après plus d’une année de confinement et de travail à distance imprévu, un accompagnement renforcé est indispensable, aussi bien pour les étudiant.es (remise à niveau, encadrement, suivi, aides) que pour les enseignant.es et les personnels administratifs et techniques.
Des recrutements et des financements supplémentaires sont indispensables pour répondre à ces besoins, tout en faisant face à une augmentation continue du nombre de bacheliers.
Nous souffrons d’un manque de flexibilité, par exemple pour la mise en place de tutorat.
Par ailleurs, notre mode de fonctionnement n’est pas optimal, avec des outils et des processus administratifs parfois mal définis, pas suffisamment centralisés ou trop hétérogènes. Enfin, nous souffrons d’un manque de flexibilité, par exemple pour la mise en place de tutorat. Des actions pourraient être menées en ce sens, en lien notamment avec les associations étudiantes.
Bref, il est impératif de dégager des marges de manœuvre rapidement et de maintenir ces efforts dans le temps, compte-tenu du contexte et des risques de voir de nouveau la situation sanitaire se dégrader.
Quant à l’insertion professionnelle, nous avons pu constater les difficultés pour les jeunes à trouver un contrat d’apprentissage, un stage ou encore un premier emploi, sur un territoire pourtant privilégié puisque Paris-Saclay fait partie des bassins français d’emploi les plus porteurs et les plus dynamiques, notamment pour les cadres.
Accompagner davantage étudiantes et étudiants dans l’élaboration de leurs projets personnel et professionnel
Dans la crise que nous traversons, il nous faut donc accompagner davantage les étudiantes et les étudiants dans l’élaboration de leurs projets personnel et professionnel, mais aussi renforcer nos partenariats avec les acteurs socio-économiques, accélérer le développement du réseau des diplômés de l’université Paris-Saclay, multiplier les rencontres métiers.
Quelles sont tes craintes et tes espoirs pour cette rentrée 2021 ?
Il y aurait beaucoup à dire en tant qu’enseignant-chercheur et membre de l’université Paris-Saclay. Pour la rentrée 2021, mon plus grand souhait est un retour à 100% sur site : sortir d’une situation néfaste pour les étudiant.es et démoralisante pour les personnels.
Ces derniers ont beaucoup travaillé ces dernières années dans le cadre de la construction de l’établissement expérimental, à tous les niveaux. Après ces mois compliqués de travail à distance et face aux chantiers qui sont encore devant nous, on peut ressentir une grande fatigue, pouvant laisser place à une démotivation, voire un désengagement. Si le monde universitaire est de nouveau confronté à des mesures sanitaires strictes sans anticipation ni préparation, alors je crains une démobilisation difficile à endiguer.
Peut-on coupler de façon intéressante travail à distance et présentiel ?
Bien sûr, coupler judicieusement travail à distance et présentiel présente des avantages, mais en termes d’enseignement, il faut rappeler que ce couplage est aussi chronophage et coûteux. À vrai dire, je trouve ce débat insidieux dans la période actuelle, il s’inscrit dans un lobbying de longue date en faveur du développement de la formation à distance, pour des raisons qui ne sont pas pédagogiques, mais plutôt économiques et idéologiques.
Il ne faut pas confondre l’enseignement en mode non présentiel que nous avons subi, c’est-à-dire le maintien d’une continuité pédagogique dans l’urgence et sans moyens dédiés, avec un enseignement à distance réfléchi, préparé et revêtant des formes adaptées (en synchrone, asynchrone, hybride ou encore comodal), pour un public ciblé (étudiants internationaux, formation permanente, etc.).
Une question d’ingénierie pédagogique.
Ce couplage est avant tout une question d’ingénierie pédagogique et il est clair qu’une réflexion en profondeur de l’enseignement à distance doit être menée, dans la durée, en capitalisant sur le développement accéléré de plateformes, de contenus et de pratiques numériques.
Pour autant, cette crise nous aura révélé que malgré tous les efforts et toute la bonne volonté des enseignant.es, malgré toute la motivation et toutes les qualités des étudiant.es, il est très difficile de dispenser un enseignement équivalent à ce qui se fait classiquement. L’urgence me semble donc être un retour à un maximum de présentiel, pour la bonne santé de toutes et de tous.
Propos recueillis par Philippe Antoine
N’hésitez pas à contacter les militantes et militants du Sgen-CFDT à l’université Paris-Saclay !