Rencontre avec Ghislaine Stern, militante Sgen-CFDT, professeure agrégée (Prag) d’économie Gestion, spécialité Marketing, responsable pédagogique de la Licence pro Commerce et Distribution Parcours Marketing en apprentissage à l’IUT de Sceaux, université de Paris-Saclay depuis 2012.
Quel est ton regard sur ce que les étudiant.es ont vécu depuis 2020, sur la continuité pédagogique ?
Nos jeunes se sont dans un premier temps amusés de cette situation et ont trouvé un intérêt, très pragmatique, à ces enseignements à distance (EAD) : se lever plus tard, voire rester en pyjama pour suivre les cours, être connecté.e tout en faisant autre chose, dialoguer à travers les chats en ne réalisant pas que c’était visible par tout le monde. Mais cet effet s’est très vite transformé en une inquiétude pour la valeur de leur diplôme.
Étudiantes et étudiants ont dû puiser en eux et se motiver pour décupler leur concentration, travailler en autonomie, assimiler les notions et outils dans un environnement personnel ou familial pas toujours propice à l’apprentissage. Le travail personnel a fortement augmenté, avec le sentiment d’être noyé par la masse de travail à fournir.
Les enseignant.es ont partagé ce ressenti, d’autant que, au-delà d’une remise en question de leurs pratiques, on leur a imposé de nombreuses tâches administratives. Être face à un écran noir pendant 6 heures, sans interaction véritable, sans savoir si on est compris ou simplement écouté, est une épreuve.
Les apprentissages et les évaluations n’ont pas été pensés pour affronter cette crise sanitaire.
Étudiant.es et enseignant.es n’étaient équipés ni « matériellement » ni pédagogiquement pour faire face à cette situation. Nous avons revu nos pratiques, recentré les enseignements sur les « fondamentaux » en laissant de côté certains approfondissements, en simplifiant les exercices et contrôles pour qu’ils soient réalisables à distance, avec de la bienveillance dans les évaluations. Mais si certains, hélas, ont décroché, les étudiant.es dans l’ensemble se sont accrochés. Après 18 mois de cette situation, une grande lassitude est cependant à noter chez les uns et les autres, qui n’ont qu’une hâte : se retrouver en présentiel.
Quelles sont les priorités ?
Se projeter dans un avenir professionnel et retrouver l’envie d’apprendre.
La motivation pour étudier et enseigner me semble être la priorité pour la rentrée prochaine ! Les enseignant.es de l’enseignement supérieur ont eu le sentiment d’être abandonné.es par leur hiérarchie comme par leur ministère. Aucun accompagnement durant cette pandémie, une seule injonction répétée en boucle : assurer la continuité pédagogique, coûte que coûte ! Aucune reconnaissance ni prime n’est venue saluer et reconnaître cet engagement à assurer une continuité dans des conditions épiques : pas de connexion internet, un seul ordinateur pour toute une famille, etc.
À l’IUT de Sceaux, tous les enseignant.es sont maintenant équipé.es d’ordinateur portable individuel, ce qui est une bonne chose. Mais il faudrait aussi prévoir un équipement audiovisuel permettant d’assurer des cours à distance, voire en mode hybride, et des micro-cravate pour être entendus de tous, mêmes masqués, sans devoir hurler. Enfin et surtout, une connexion à haut débit dans tout l’établissement.
Pour les étudiant.es, il faut prioriser l’encadrement et un accompagnement renforcé à travers la méthodologie, l’organisation au travail et la mise à niveau des connaissances.
Il faut les aider à capitaliser sur les enseignements reçus à distance et ceux qu’ils vont devoir aborder à présent. Beaucoup ont eu du mal à trouver un sens à leurs études et rencontrent aujourd’hui des difficultés à se projeter dans un avenir professionnel. Les seconder dans la réalisation d’un bilan de compétences pour l’année écoulée pourrait les aider à positiver et retrouver l’envie d’apprendre.
Votre établissement s’est-il emparé de ces questions d’accompagnement ?
Un dispositif, sur la base du volontariat, permettant une remise à niveau, pour rassurer les étudiant.es aussi sur leurs connaissances et compétences, serait une excellente initiative. Concrètement, étudiant.es et enseignant.es volontaires pourraient, par exemple durant une semaine, se réunir en petits groupes pour faire le point grâce à un questionnement sur les « soft skills » ou compétences relationnelles et sociales acquises durant la pandémie. Des tests de connaissance pourraient être mis en place.
Une fois ce mini-bilan réalisé et le jeune rassuré, des cours de renforcement seraient proposés.
À noter que l’université a mis en place tout au long de cette année des cellules d’écoute et d’accompagnement mais ce dispositif, à ma connaissance, n’a pas rencontré un grand succès. Peu d’étudiant.es osent se manifester. Enfin, un projet tutoré a été mandaté pour aider à l’intégration des futures recrues.
Quelles sont tes craintes et tes espoirs pour cette rentrée 2021 ?
Échanges et interactions en présentiel sont irremplaçables.
L’enseignement à distance (EAD) a permis de redonner ses lettres de noblesse au métier d’enseigner. Les étudiant.es, tout comme les professeur.es, ont réalisé combien la pédagogie est essentielle : la diffusion d’un savoir, quel que soit le support, ne suffit pas à son assimilation. Bien au contraire, les échanges et les interactions en présentiel permettent non seulement l’appropriation mais aussi l’acquisition durable de compétences, et ils sont irremplaçables.
Ma principale crainte est que nous soyons de nouveau obligés de passer en EAD ou, pire encore, en mode hybride. Même si je suis correctement équipée, cette façon d’enseigner est trop éloignée du métier que j’exerce avec passion.
J’espère aussi que nos jeunes auront à cœur de rattraper le retard perdu et travailleront d’arrache-pied pour compenser ces derniers mois. D’autant plus qu’une réforme profonde des diplômes fait sa rentrée en IUT. Le Diplôme Universitaire Technologique (DUT) laisse sa place au Bachelor Universitaire Technologique (BUT).
L’approche par compétences sera au cœur de ces enseignements avec de nombreuses transversalités entre les disciplines.
Cette refonte de nos méthodes de travail et de nos enseignements demandent une énergie que peu d’entre nous sont aujourd’hui prêts à mobiliser, tant nous sommes épuisés moralement comme physiquement. La pause estivale est grandement attendue !
Peut-on coupler de façon intéressante travail à distance et présentiel ?
Tout n’a pas été négatif dans cette distanciation imposée. Une certaine proximité a pu se mettre en place avec quelques étudiant.es grâce à la visio. Je pense notamment aux projets tutorés et au suivi de stages. Cette modalité a permis d’échanger plus souvent, de manière plus ou moins formelle. Les étudiant.es se sentant libres de nous solliciter plus que de coutume et bien souvent en dehors des heures de bureau habituelles. En nous demandant parfois de rester connectés à la pause ou après les cours sous prétexte d’un point à éclaircir : elles et ils avaient surtout besoin de parler. En présentiel, ces demandes spontanées sont plus difficiles.
J’aimerais pouvoir garder la possibilité de proposer quelques « permanences visio » aux étudiant.es.
Les échanges ont été grandement facilités entre enseignant.es, surtout en groupe. Dès qu’un problème surgissait, une réunion était rapidement montée et une plus grande assiduité constatée. Je ne sais si cette habitude perdurera, il faudra aussi veiller à ne pas en abuser car être en présentiel permet d’échanger beaucoup plus que par les mots. Nous retrouvons un peu d’humanité, tout simplement !
N’hésitez pas à contacter les militantes et militants du Sgen-CFDT à l’université Paris-Saclay !
Le second volet de ces rencontres Université Paris-Saclay est disponible ici !
Ce témoignage a également fait l’objet d’une publication pour la revue Quoi de neuf ? Sgen-CFDT – numéro 55 – Rentrée 2021.