Le Conseil Supérieur des Programmes vient de publier une note qui viendrait modifier les programmes de 2015 en cas de mise en œuvre. En concentrant les apprentissages des élèves sur le savoir écrire, lire et compter, cette note remet sur la table un débat récurrent qui avait pourtant été tranché...
S’appuyant sur le fait que l’école est maintenant obligatoire à 3 ans, la « Note d’analyse et de propositions sur le programme d’enseignement de l’école maternelle » publiée par le Conseil Supérieur des Programmes souhaite que les apprentissages des élèves se concentrent sur les fondamentaux – lire, écrire et compter – avec un objectif unique : bien préparer les élèves aux évaluations de début de CP.
La scolarisation à 3 ans comme prétexte à cette note
Alors que les programmes de 2015, qui font largement consensus au sein de la communauté éducative, n’ont pas encore été évalués, le CSP veut les modifier. D’autre part, s’appuyer sur la Loi « école de la confiance » qui rend l’instruction obligatoire à 3 ans pour le justifier est assez incompréhensible. En effet, il convient de ne pas oublier que 97 % des élèves étaient déjà scolarisés au sein des écoles maternelles avant la promulgation de cette Loi. C’est donc pour le Sgen-CFDT un faux prétexte pour amener une autre vision de l’école maternelle, plus «pré-élémentaire ». D’ailleurs, le CSP ne s’en cache pas en écrivant :
« En 2014 et en 2015, l’élaboration de ce programme était guidée par une vision générale de l’enfant mettant l’accent sur son développement comportemental et psycho-cognitif. La loi rendant obligatoire l’instruction dès l’âge de 3 ans invite à reconsidérer ses priorités et ses finalités, et à veiller à la construction progressive, mais effective des apprentissages. Les missions d’étude, les travaux de recherche, les publications de guides et de recommandations pédagogiques depuis 2018 interrogent, en effet, les choix théoriques, pédagogiques et didactiques qui ont orienté la conception du programme de 2015 et invitent à l’envisager sous un angle nouveau. ».
Le ton est donné !
Selon le CSP, l’école maternelle devient une véritable école
Nous sommes tout d’abord très surpris de lire dans cette note que « L’école maternelle acquiert un nouveau statut : elle devient une école à part entière, un lieu qui constitue le premier jalon de la scolarité. » Les enseignants apprécieront… Assurément, l’école maternelle est déjà une école à part entière, avec des spécificités qu’il faut défendre et qui en font sa richesse. Dire le contraire est une forme de mépris à l’égard du travail des enseignants de maternelle, et d’ignorance quant à ce qu’y vivent et apprennent les enfants.
Un objectif : préparer les évaluations de CP
La note met en avant ensuite le fait que l’enjeu de l’école maternelle se trouve déterminé par la réussite des évaluations CP tout en affirmant de manière contradictoire que l’école maternelle n’est pas « l’antichambre de l’école élémentaire ». A ce titre, le CSP pointe : « Les résultats de ces évaluations montrent que les élèves ont un niveau insuffisant dans le domaine de la connaissance des lettres […], une méconnaissance de certains mots du vocabulaire, une incompréhension des différentes manières de nommer un personnage ou un lieu, une appropriation fragile des marques de temps, d’espace, des relations causales, de conséquence, d’opposition et d’addition. Elles soulignent la difficulté des élèves de CP à raisonner et à mener des déductions. »
Maths, français, sciences et technologies doivent être au centre des apprentissages en maternelle
De fait, la note s’intéresse principalement au français, mathématiques, sciences et technologies. Pas une ligne sur les activités artistiques, physiques, culturelles ou sur la nécessité pour l’élève de trouver sa place dans un groupe et d’apprendre le « vivre ensemble » ! Pas une ligne sur le développement global de l’enfant, sur la place du corps dans les apprentissages, sur les activités artistiques, sur la créativité… Pourtant, et paradoxalement, le CSP rappelle que « L’école maternelle est l’école de l’épanouissement et du développement affectif et social de l’enfant. Elle offre ainsi à chaque enfant, considéré dans sa singularité, un cadre propice pour qu’il satisfasse son goût d’apprendre, devienne peu à peu un élève et aborde, dans les meilleures conditions, les premiers savoirs et savoir-faire scolaires. » Les attendus en matière d’apprentissages visés dans la note ne correspondent pas du tout à cet énoncé. Pour le Sgen-CFDT, cette note est donc remplie de contradictions.
Une école maternelle au service des apprentissages fondamentaux : lire, écrire, compter
Si la note développe l’importance du jeu à l’école maternelle, c’est surtout pour préciser que des « moments réflexifs sont indispensables avant, pendant et après la pratique d’un jeu. » En fait, les activités ludiques sont mises au service de la nécessité pour l’élève de maternelle d’entrer dans les apprentissages en visant l’écriture, la lecture, les mathématiques et les sciences.
Ainsi, la note veut clarifier le domaine « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions » en distinguant le langage, les langages et la langue française. Dans le même temps, elle propose des apprentissages sémantiques, lexicaux et grammaticaux occultant complètement l’aspect social de la langue, si important en maternelle. Les enseignant.e.s de maternelle savent à quel point il est important pour ces jeunes élèves de jouer avec les mots afin de construire et donner du sens à ces mots qu’ils utilisent. Cette note du CSP semble laisser pour compte la professionnalité de ces enseignant.e.s.
Même démarche en sciences où la note préconise des « leçons d’observation » et la familiarisation avec l’esprit et la démarche scientifique. En mathématiques, la note précise « les apports des sciences cognitives et des neurosciences ». Selon des experts et des chercheurs, cette note mélange « énumération », « subitizing » et « approche du nombre ». D’autre part, des confusions sont faites entre quantité et nombre.
Une évaluation des élèves dès… 3 ans
L’évaluation positive des programmes de 2015 disparaît et la note préconise des évaluations dès 3 ans. Une sorte de bilan de compétences à l’entrée en maternelle… à 3 ans ! A peine rentré et déjà évalué, alors que l’élève de 3 ans ne connaît pas les codes de l’école. Une évaluation orientée sur des compétences très scolaires, par le bais d’évaluations normatives. Pour le Sgen-CFDT, il est important d’attendre et de laisser les jeunes enfants prendre leurs marques au sein des classes. L’école maternelle est par essence l’école où se développe le langage, la socialisation, la découverte de soi et des autres, et la première « rupture » avec les parents. L’approche psycho-affective de l’enfant est essentielle pour lui permettre progressivement de devenir élève.
Faire des enseignants de maternelle des exécutants ?
Dans la note, le vocabulaire utilisé en direction des enseignants : « il convient », « les enseignants sont inviter à » ou encore la référence aux « guides et recommandations qui visent à infléchir les pratiques des enseignants » peuvent laisser craindre une mise à l’épreuve de la liberté pédagogique. D’ailleurs, la tâche des enseignants de maternelle est ainsi définie par Stanislas Dehaene : « Dès l’école maternelle, les adultes ont pour mission de captiver et de canaliser l’attention des jeunes enfants, en la mettant en alerte, en l’orientant et en la contrôlant. Ils doivent faire de l’enfant un élève qui prend conscience de ses apprentissages en se testant et en s’instruisant de ses erreurs. […] Ils créent, enfin, les conditions pour que se mettent en place les premiers automatismes qui libéreront l’esprit ainsi disponible aux tâches plus complexes qui l’attendent. » La note souligne également le manque de formation des enseignants dans les matières scientifiques. En leur donnant ainsi des « consignes », le CSP tend à vouloir faire des enseignants de simples exécutants loin de leurs capacités à concevoir les apprentissages. Le Sgen-CFDT tient donc à rappeler que les enseignants sont, dans le cadre des programmes nationaux, des professionnels concepteurs de leur enseignement, dans le respect des programmes. Il s’opposera ainsi à toute mesure d’intimidation voulant contraindre des enseignants à utiliser des dispositifs ou méthodes de manière injonctive.
Et de l’école maternelle une école pré-élémentaire ?
Cette note remet en cause le principe de l’évaluation positive, la liberté pédagogique des enseignants et plongent les élèves de maternelle dans des apprentissages recentrés sur les fondamentaux, via des exercices répétitifs, des « automatismes » et du « bachotage ». Tout cela annihile l’essence même de l’école maternelle et assimile les enfants en « robots » à apprendre… D’ailleurs, la note parle de la période en école maternelle comme d’une « période scolaire pré-élémentaire ». Pour le Sgen-CFDT, chaque chose en son temps : l’école maternelle doit conserver ses spécificités et ne pas être l’antichambre du CP.
Des mises en garde avaient pourtant été émises contre cette tentation
Le 15 novembre 2019, lors d’une rencontre de l’OZP à laquelle le Sgen-CFDT avait participé, Viviane Bouysse – Inspectrice générale honoraire et spécialiste de la maternelle – mettait déjà en garde contre une école qui serait uniquement centrée sur les seuls apprentissages scolaires comme en école élémentaire et s’interrogeait : « Comment l’objectif des apprentissages peut-il s’opérationnaliser sans nuire au bien-être de l’enfant ? ». Elle en avait alors rappelé les deux logiques existantes :
1) la logique descendante, c’est-à-dire que l’on part de l’exigence qui s’applique à l’enfant de CP et que l’on redescend vers la GS, la MS et la PS ;
2) la logique des programmes de 2015 (qui font largement consensus au sein de la communauté éducative) : « Qu’est-ce qu’est un enfant qui arrive à l’école maternelle ? ». Comment, en prenant en compte ce qu’il est, ce qu’il peut, ce qu’il sait, ce qu’il peut faire, on s’organise pour le rapprocher des objectifs optimaux de la fin de la grande section ?
La note du CSP, elle, opte clairement pour la logique 1 quand toute la communauté éducative, dont le Sgen-CFDT, prône la logique 2 et le maintien des programmes de 2015.
De rares points positifs
On peut toutefois retrouver dans la note quelques rares points positifs, qui sont d’ailleurs des revendications du Sgen-CFDT :
- L’importance de la coopération enseignants/ATSEM : «Il conviendrait de porter une attention particulière aux modalités de coopération entre les enseignants et les ATSEM pour renforcer l’éducation scolaire dispensée aux enfants et assurer sa cohérence. » ;
- la pertinence de modules spécifiques « maternelle » dans la formation continue des enseignants : « Il conviendrait, dans le cadre de la formation continue des professeurs des écoles, de consacrer un nombre significatif d’heures aux spécificités de l’école maternelle et de proposer des contenus adaptés et exigeants qui familiarisent tous les enseignants exerçant à l’école primaire avec les enjeux didactiques et pédagogiques de l’enseignement préélémentaire. » ;
- l’importance d’effectifs réduits : « des classes trop chargées ne permettent pas de prêter à chaque enfant l’attention qu’il mérite.».
Un sentiment de déjà vu !
Avec cette note, il s’agit donc bien de vouloir ancrer une vision très spécifique de l’école maternelle pour en faire une classe préparatoire au CP et préparer spécifiquement les élèves aux évaluations de début d’année.
C’est une véritable rupture avec ce qu’est la maternelle, et avec son histoire.
Pour le Sgen-CFDT, une observation fine des élèves par leurs enseignant.e.s prévaut sur des protocoles d’évaluation stressants et trop normatifs. Un enfant – a fortiori en bas âge – a besoin de temps pour sortir de son cocon familial et s’adapter à la vie en collectivité au sein d’une école maternelle. Il faut donc faire confiance aux enseignant.e.s, aux équipes pédagogiques pour construire le parcours de chaque élève. En cela, les programmes de 2015 permettaient cette latitude nécessaire. Cette note du CSP, s’inscrivant dans la lignée du rapport de Bentolila de 2007, et pleine de contradictions, vient en contredire les objectifs… Tout ceci sans aucun concertation avec les professionnels : ce n’est pas acceptable !
Le Sgen-CFDT continuera donc de défendre une école maternelle bienveillante, adaptée aux besoins, au rythme et au développement de chaque enfant. L’entrée à l’école maternelle doit être un événement serein, et davantage encore en cette période hors norme de crise sanitaire.