Retraites : après le 5, avant le 10, avant le 11: y-voit-on plus clair maintenant ?

La grève du jeudi 5 décembre a été suivie massivement par les collègues. Les perturbations se poursuivent dans les transports, dans bien des établissements scolaires. Une intersyndicale appelle à une nouvelle journée de mobilisation le mardi 10 décembre. Nous tentons ici un point sur la situation.

Cette situation est le résultat logique d’une défiance totale (et légitime) envers le gouvernement et du flou que celui-ci entretient sur sa future réforme des retraites et qui contribue fortement au pourrissement de la situation et à la difficulté à tenir un discours rationnel. A cela s’ajoutent les nombreuses intox qui circulent sur ce sujet très technique.

Tout est-il déjà joué ?

Le gouvernement doit (enfin) présenter son projet le mercredi 11 décembre. Pour certain.e.s peu importe, tout est déjà joué, le projet sera nécessairement mauvais. Comme nous vous l’expliquions ici, notamment dans le point 6,  un système par points n’est pas par essence bon ou mauvais et il reste beaucoup de paramètres à trancher avant de pouvoir juger du nouveau système. Y aura-t-il des mesures paramétriques pour des économies ? Quel sera le taux de cotisation ? Pour qui et avec quel plafond ? Quels dispositifs pour corriger les inégalités femmes-hommes ? Quelle valeur du point et quelles garanties sur ses fluctuations ? Quel système pour la transition ? A partir de quelle génération ? Les réponses à ces questions peuvent changer totalement les effets du nouveau système en matière de justice sociale. Et donc notre appréciation sur ce projet de réforme. 

En sait-on plus sur une éventuelle revalorisation des salaires des enseignant.e.s ?

Une réunion a eu lieu au ministère le mardi 3 décembre. Le ministère y a rappelé son engagement à ce que la réforme n’entraîne pas de baisse des pensions, ce qui suppose une revalorisation salariale. Cette réunion a permis par ailleurs de réaffirmer ce que nous savions déjà : il y a un net décrochage des rémunérations enseignantes par rapport à celles d’autres catégorie A de la fonction publique, lié notamment à un régime indemnitaire (primes) bien plus faible. L’ensemble des organisations syndicales représentatives, à l’exception de FO, a siégé lors de cette réunion et fait des propositions sur les conditions de la transition entre l’ancien et le nouveau système. Une nouvelle réunion est prévue en janvier. Des chiffres devraient enfin y être annoncés, le ministère attendant le projet final du gouvernement pour pouvoir estimer le montant des efforts nécessaires.

Cependant, plusieurs ministres (Darmanin, Blanquer, Attal) ont commencé à donner des éléments plus précis dans les médias, selon une méthode de court-circuitage des corps intermédiaires désormais habituelle. Voici les informations que l’on a pu glaner ici ou là :

Une revalorisation progressive, avec une augmentation supplémentaire du budget de l’Education Nationale de l’ordre de 400 à 500 millions par an à partir de 2021. On arriverait donc à une somme aux alentours de 2 milliards d’euros en 2025 date prévue pour l’application de la réforme à ce stade. A mettre en comparaison avec les 980 000 personnels de l’Education Nationale…

– Une revalorisation qui se ferait davantage sous forme de primes que sous forme de traitement indiciaire.

– Une revalorisation qui ne concernerait que les générations touchées par le nouveau système de retraites.

On peut juger que l’ensemble est bien léger, surtout qu’il n’engage pas tant ce gouvernement que les suivants et que par conséquent les garanties sont faibles (tout comme celles sur l’application de la réforme des retraites une fois passées les éventuelles alternances politiques d’ailleurs).

Dans tous les cas, là aussi, de nombreuses questions restent sans réponses claires. Quel montant annuel précis ? A partir de quelle année ? Jusqu’à quand ? Sous quelle forme ? Avec quelles conditions ? Pour qui ?

Alors que faire ?

Un mouvement social, surtout quand il est de grande ampleur, charrie toujours son lot de passions, d’enthousiasme mais aussi de jugements et de pressions. Ici, le mouvement vient se greffer sur plusieurs années d’une politique méprisante envers les personnels de l’Education Nationale et par conséquent un ras-le-bol et une fatigue quasi généralisée. Chacun et chacune, du premier degré à l’université, a d’excellentes raisons d’être exaspéré.e.

Le mécontentement contre ce gouvernement est très fort. Sur les lieux de travail, le besoin de l’exprimer transcende clairement les positions et les clivages syndicaux. Dans le même temps, est-il possible de juger un projet qui n’est pas encore complètement présenté et qui, s’il comporte des risques qui sont identifiés n’est dénué ni de sens ni de pistes intéressantes ? Alors que faire ?

Écoute et dialogue !
Nous affirmons que chacun.e a le droit au respect dans ses opinions et ses positionnements. Les hésitations, les doutes, les désaccords que nous pouvons avoir quant à la stratégie à mener à très court terme face au flou savamment entretenu, ne sont pas des faiblesses. Ce sont des forces qui témoignent de la capacité de réflexion et de la réalité du débat démocratique au sein de notre organisation.

Ce que nous refusons, ce sont les jugements à l’emporte-pièce, les anathèmes, les convictions si fortes qu’elles résistent à l’épreuve des faits. Le syndicalisme d’obligation morale, parce qu’il est contraire à notre objectif d’émancipation, ne pourra jamais être le nôtre.

Ce que nous savons très nettement c’est ce que nous voulons. Nous voulons une réforme des retraites, parce que le système actuel est injuste. AGIR POUR TOUSNous voulons une réforme de justice sociale parce que nous pensons que c’est aussi le rôle d’un système de retraites que de corriger en partie les inégalités subies tout au long de la vie. La CFDT a travaillé longuement sur ces questions et défend un régime universel par points depuis 2010 à la suite notamment du rapport Bozio-Piketty paru en 2008. Lorsque les projets définitifs seront enfin sur la table nous nous positionnerons sans a priori sur la base de nos revendications qui sont elles aussi clairement définies.

Aux adhérent.es et sympathisant.es du Sgen-CFDT, qui (se, nous) demandent quoi faire le 10 décembre, nous répondons que ce choix leur appartient, au regard des éléments d’analyse fournis ici et ailleurs, du contexte de leur établissement, des considérations qui leur sont propres. Bien sûr et comme toujours en réalité à la CFDT.

La question du rapport de force se pose bien évidemment.

En attendant, rappelons une nouvelle fois que d’autres sujets méritent probablement davantage notre attention. Alors que la folie retraites s’empare du pays, mais qu’on chuchote ici ou là que la réforme ne pourrait s’appliquer qu’à partir de la génération 1973  (voire 1977) et donc de 2035 (voire 2039), il y a sans nul doute d’autres urgences. Pêle-même, réforme du lycée, mal-être au travail, assurance chômage, sort des migrant.e.s et surtout crise écologique appellent tout aussi fortement notre et votre mobilisation.