PerDir : Qui se soucie de nous ?

Surcharge mentale, risque psycho-sociaux, gestion du stress... Anne Panvier, principale, revient sur la situation des personnels de direction.

Juillet 2021, je retrouve quelques camarades de promo pour notre traditionnel diner de fin d’année, 11 ans après, toujours autant de joie à se retrouver. Mais les rangs sont clairsemés et les mines fatiguées. « Ah, Isabelle voulait vraiment venir, mais tu sais comment c’est, elle est crevée…Et sinon, toi, il n’y a pas un moment cette année où tu as voulu jeter l’éponge ? – Si, je t’assure, c’est devenu trop ».  Un collègue me glisse qu’il a mené sa micro-enquête et que la dizaine de personnes présentes, cette année, se sont juré qu’elles ne feraient pas Perdir toute leur vie. Trop de fatigue, trop de boulot, et le sentiment d’avoir perdu le sens des choses. Rentrée tard – et ravie – de cette soirée, je ne suis que perplexité devant ce gâchis. Il est urgent de mettre en œuvre des mécanismes de soin d’une part, lorsque nous affrontons un coup dur professionnel, et de soutien d’autre part, pour reconnaitre et accompagner enfin les difficultés d’un métier durement éprouvé ces dernières années.

Une ligne budgétaire pour la prévention des risques psycho-sociaux

En tant que Perdir, nous pouvons activer un premier levier qui ne dépend pas du bon vouloir de notre institution : le meilleur conseil qui m’ait jamais été donné en formation de nouveau chef d’établissement a été de prévoir une ligne budgétaire pour la prévention des risques psycho sociaux. Je l’ai utilisée tous les ans : supervision psy pour une équipe de direction qui ne parvenait pas à digérer un passé douloureux, pour l’équipe de la classe relais confrontée à des parcours d’élèves difficiles, pour des interventions en plénière sur les risques psycho-sociaux dans les métiers de l’enseignement, pour de la supervision durant le confinement, pour du débriefing post-traumatique après un épisode douloureux, y compris en individuel pour les personnels les plus exposés.  Mais il est temps de construire, puisque qu’une nouvelle feuille de route RH nous est proposée, un véritable système qui permette d’assurer des soins de premier niveau et un étayage solide des fonctions exposées qui sont les nôtres.

Le soin d’abord

Le soin d’abord, parce que nul n’est à l’abri de subir au travail une situation ponctuelle difficile, qui laisse des traces parfois indélébiles sur l’estime de soi, impacte la vie professionnelle et personnelle. A l’heure où la population générale peut bénéficier de consultations psychologiques prises en charge, il est grand temps de dégager un budget réel pour permettre à chaque Perdir de débloquer sur simple demande un accompagnement psychologique de premier niveau gratuit, rechargeable et pérenne. Quelques séances de débriefing post traumatique peuvent limiter considérablement les dégâts causés par des jours de blocus, une agression par un parent d’élève. Banalisons ce droit au soin, réclamons sa mise en place immédiate auprès de spécialistes agréés.

La supervision : accompagner et aider à prendre du recul

Mais au-delà du soin, c’est bien la charge mentale et sociale de nos métiers qu’il faut accompagner en instaurant des systèmes de supervision devenus incontournables.  Qui existent dans tant d’autres domaines…sauf chez les cadres de l’éducation nationale. Les médiateurs éducatifs du 92 doivent obligatoirement assister à une supervision de 3h par mois : cette obligation souligne qu’il s’agit d’une mesure d’hygiène professionnelle de base, qui leur permet d’exposer des situations difficiles et de prendre du recul. Nous ne méritons pas moins bien, et l’exigence de bienveillance qui nous est faite à l’égard des personnels que nous encadrons doit s’accompagner de mesures réelles à notre égard.  Régulière, appuyée sur des outils théoriques rigoureux, plus utile lorsqu’elle est obligatoire que lorsqu’elle est volontaire, la supervision  – ou tout autre type d’analyse de pratiques –  n’a pas vocation à être utile dans l’instant : elle est une prophylaxie, une prévention du trouble, un espace où l’on engrange des ressources qui seront mobilisées plus tard.

Sociologie des organisations, gestion de crise : renforcer la formation !

La psychologie n’est pas la seule discipline à convoquer : l’analyse stratégique des organisations, la sociologie constituent autant de points d’appui solides pour dompter notre quotidien difficile et retrouver du sens. Lorsque la confrontation des jeux d’acteurs au sein de l’établissement est sans cesse difficile, lorsque les situations complexes s’enkystent et freinent le travail que nous devons conduire, ces outils sont plus appropriés que ceux de la psychologie pour permettre le recul nécessaire à la prise de décision. Comprendre quels jeux d’acteurs se nouent, quelles dynamiques s’affrontent nous redonne du pouvoir d’agir, moteur du sens de l’action. Ils engagent moins la confidence, qui pourrait rebuter des participants peu enclins à dévoiler leurs expériences, mais qui prendront plaisir à échanger sur les enjeux et les stratégies à conduire.

Nos propositions

  • Prévoir une ligne budgétaire dans le budget de l’établissement pour la prévention des risques psycho-sociaux
  • Affirmation d’un droit aux soins pour les personnels de direction avec une liste de médecins ou de psychologues agréés par département, liste établie par le service de santé des rectorats et des directions académiques
  • Instaurer pour chaque personnel de direction 9h par an de recul réflexif, à dominante psychologique, stratégique ou sociologique, en collectif ou en individuel, en s’appuyant sur un réseau d’universités partenaires et d’instituts de formation.
  • Déblocage d’une aide psychologique adaptée aux coups durs ponctuels.
  • Renforcer la formation en sociologie des organisations, la gestion de crise et l’analyse stratégique