Falbalas

Billet d'humeur suite à une énième sortie médiatique ministérielle. Comme ça va mieux en le disant.
Merci à notre collègue de Créteil pour sa plume, nous reprenons son texte en intégralité.

« L’école a repris » peut-on lire en tête d’un article de Paris Match où Jean-Michel Blanquer se plaint des « falbalas médiatiques ».

En voilà pourtant un beau, de falbala. La communication depuis quelques semaines sur la reprise de l’école cache difficilement la réalité. La réalité, tout d’abord, c’est que l’école ne s’est jamais réellement arrêtée. Le ministre, qui dès les premiers jours de la crise n’a cessé de mettre l’accent sur la continuité pédagogique, ne peut le nier : les personnels de l’Education Nationale mais aussi les élèves n’ont jamais cessé de travailler. La réalité, ensuite, c’est que l’immense majorité des élèves est encore à la maison. Le ministre ne cesse d’évoquer les 85% d’écoles ouvertes dans 92% des communes. Mais ce sont bien seulement 20% des élèves du primaire qui sont actuellement accueillis dans les écoles. Et encore, tous ne le sont pas en même temps, l’accueil étant loin d’être toujours à temps plein. Dans le 2nd degré, le pourcentage est encore plus faible : seuls 185 000 élèves de 6e et 5e ont repris le chemin du collège en cette semaine. Soit à peine 3% des 5 500 000 élèves du 2nd degré en France.

Au total ce sont près de 90% des élèves du pays qui n’ont pas encore pu retourner dans leur école et leur établissement.

Cette situation est la conséquence logique de la situation sanitaire et des protocoles très stricts à appliquer pour pouvoir assurer une réouverture. Cela n’a rien de scandaleux. Ce qui est davantage problématique, c’est d’orchestrer une communication massive autour de la réouverture des écoles et établissements en laissant volontairement de côté cette réalité.

La situation pose pourtant de réelles questions à l’ensemble de la société, qui ne disparaitront pas avec le mois de juin et la fin des possibilités d’absence ou de chômage partiel pour garde d’enfants, ni même sans doute avec le mois de septembre et une rentrée qui s’annonce bien particulière. Elle devrait entraîner une réflexion et des actions de grande ampleur, notamment par exemple autour de ce qu’il est possible ou non de proposer en termes d’offre périscolaire et de scolarité à distance pour les semaines qui viennent mais aussi et surtout en septembre.

Mais il est bien difficile de réfléchir et d’agir quand le problème n’est pas correctement posé et la réalité éludée au profit de la communication. Si « l’école a repris », c’est donc que tout va bien. Pourtant, sur le terrain, des réussites sont certes réelles, mais forcément limitées. Et la somme des questions qui se posent et des problèmes à envisager semble infinie, d’autant plus que les questions qui devraient être tranchées depuis longtemps, par exemple celle de l’épreuve anticipée de français en 1ère, ne le sont pas encore.

Le ministre lui, se voit en capitaine de navire ayant passé « le cap Horn » « entouré de bateaux pirates », cachant difficilement le fait qu’il voit une bonne partie des partenaires de l’école, avec lesquels le souci devrait être de construire collectivement, comme des adversaires.  Et il se félicite que « le bon sens l’a[it] emporté ». Quel est donc ce bon sens, qui naturellement bon ne souffre d’aucune contestation et ne nécessite nulle réflexion ? L’utilisation d’un concept aussi douteux par un ministre ayant d’aussi hautes responsabilités laisse bien sceptique. Et ressemble à un drôle de falbala.