Formations imposées sur la méthode Singapour le 3 juillet, c’est non!

Les CPC sont sommés de se mobiliser et les professeur.es des écoles du cycle 2 de tous et toutes se rendre en formation à la méthode dite de Singapour pour l'enseignement des mathématiques le mercredi 3 juillet. Pour la CFDT, il faut renoncer à ce dispositif académique qui n'a pas de sens!

Notre syndicat écrit au recteur

Monsieur le Recteur,

En CSA du 28 mai dernier nous vous interpellions sur les sessions de formation en mathématiques et sur la méthode de Singapour, qui semblaient se profiler en juin pour les collègues enseignant.es du cycle 2. Pour la CFDT, nous avions exprimé de très nombreuses réserves et indiqué qu’il fallait faire preuve de discernement en la matière, ce à quoi vous aviez acquiescé.

Avec la communication générale adressée aux écoles et aux agent.es par courriel en date du 4 juin, et les convocations à grande échelle qui arrivent en circonscription pour le mercredi 3 juillet, force est de constater que nous en sommes loin.

Au-delà des réserves nombreuses que nous pouvons avoir sur le déploiement d’une méthode qui se veut miraculeuse sans que le contexte et les moyens attachés ne puissent se comparer à Singapour, nous souhaitons vous interpeller sur la façon dont les collègues du premier degré vivent cette demande de venir se former le mercredi 3 juillet, dernier mercredi avant les congés d’été.

A cette date, les collègues arriveront au terme d’une année éreintante et d’une dernière période qui compte 10 semaines de classe particulièrement éprouvantes, du fait notamment de l’absence de remplacements. Il n’est pas inutile de rappeler l’ensemble des tâches qui incombent aux professeurs des écoles à cette période en sus de leurs missions d’enseignement :  la finalisation des projets, dont la fête de fin d’année, les évaluations et la saisie des livrets scolaires ainsi que la remise des livrets aux parents sous forme de rdv individuels, les réalisations de structures et les répartitions de classe pour la rentrée, les commandes, le rangement des classes et des réserves…

A cette date, les 18h de formation dues sont épuisées depuis longtemps, et le volant des 108h largement dépassé voire doublé. L’administration indique anticiper sur les heures de 2024-2025… Une disposition inédite, curieuse, et dont nous avons peu confiance qu’elle sera effective. Sans compter les collègues dont les services, affectations ou quotités auront changé et pour lesquels faire valoir cet hypothétique crédit d’heures relèvera de l’impossible.

Les formateurs et CPC ne sont pas en reste. La mise en place d’une formation sur la méthode Singapour, qu’on leur impose soudain, ne s’improvise pas. Bien au contraire, elle représente une charge de travail très importante. La pression et la charge mentale deviennent insoutenables pour elles et eux  en cette fin d’année, et de telles conditions d’exercice viennent questionner le sens même de leur travail et de leurs missions.

Au-delà de la fatigue générale et du ras-le bol créé par les injonctions régulières, ces dispositions font fi de la vie personnelle des agents et de l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Un 3 juillet, ils et elles avaient légitimement pu programmer un rdv médical, ou n’avoir pris aucune disposition de garde d’enfants…

Comment penser que les collègues vont adhérer à cette méthode en leur imposant avec vigueur des heures de travail supplémentaires au moment même où ils aspirent au repos? Comment croire qu’il soit pertinent pédagogiquement, même avec des adultes, de procéder ainsi ? Pour la CFDT Education Formation Recherche Publiques, imposer cette formation en urgence, le mercredi à 2 jours des congés scolaires fait preuve d’un profond mépris envers les personnels.

Au-delà de cette formation de trois heures imposée à tous et toutes en cette fin d’année, c’est la démarche complète du ministère et du « choc des savoirs » qui nous semble hors-sol. Notre syndicat et notre fédération continuent de revendiquer que le ministère revienne sur sa décision d’imposer une méthode d’enseignement unique, dont nous n’avons aucune preuve qu’elle formera mieux les citoyens de demain et permettra d’obtenir les résultats escomptés tant les conditions sociales et professionnelles sont différentes de Singapour. Cette démarche affecte la liberté pédagogique des enseignant.es, ne peut que contribuer à leur mal-être professionnel et à la désaffection pour le métier.

Pour la CFDT Education Formation Recherche Publiques, il s’agit de considérer les enseignants comme des professionnels en leur permettant d’enrichir leurs connaissances et compétences afin qu’ils puissent choisir et adapter parmi les ressources, dont celle de la méthode Singapour, une méthode parmi d’autres, pour exercer leur métier en toute liberté et au bénéfice des élèves.  La confiance accordée est primordiale pour leur permettre de mener à bien leur mission.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, Monsieur le Recteur, de renoncer à convoquer massivement les enseignant.es pour ces formations du 3 juillet qui n’ont pas de sens, de renoncer à mobiliser formateurs ou CPC pour bâtir à la hâte ces temps qui ne font pas sens.  Nous vous demandons de renoncer à ce plan académique dont il semble qu’il n’y ait par ailleurs pas de véritable équivalent annoncé ailleurs que dans l’académie de Versailles.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Recteur, en notre attachement au service public d’éducation.

Une méthode miracle ? Il y a tant à dire !

Pour la CFDT, nous maintenons que le gouvernement doit renoncer à toutes les mesures du mal-nommé choc des savoirs, et ici en l’occurrence renoncer à: 
  •  imposer une méthode d’enseignement unique, sans aucune concertation avec les professeurs, qui affecte leur liberté pédagogique et va contribuer au mal-être grandissant de la profession
  •  imposer une méthode dont nous n’avons aucune preuve qu’elle formera mieux les citoyens de demain. (cf extrait de publication en fin d’article)
  • imposer une méthode dont nous n’avons aucune preuve qu’elle obtiendra des résultats identiques car sera appliquée dans des conditions totalement différentes. En effet, à Singapour, il existe une forte pression scolaire, un soutien parental important, les professeurs sont recrutés à un haut niveau de qualification et formés plus de 100h par an… Comment peut-on penser que cette méthode produise les mêmes effets dans notre pays avec notamment un recrutement au niveau licence comme ce qui se profile, et une formation continue de 18h par an se partageant entre français et mathématiques !
  • imposer des nouveaux manuels labellisés ciblés sur la méthode Singapour alors que les ressources sont déjà foisonnantes et que nombreuses d’entre elles font déjà une grande place aux activités proposées par cette méthode (manipulation, schématisation, résolution de problèmes). Par ailleurs, même les éditeurs de manuel reconnaissent les délais intenables, et dans la plupart des écoles les commandes sont déjà bouclées…

La volonté d’imposer une méthode unique interroge sur les véritables objectifs poursuivis par le Ministère.  Répondre au besoin urgent d’outiller a minima de nouveaux enseignants peu formés, tout particulièrement les contractuels recrutés en masse, pour en quelque sorte leur fournir un kit de survie en mathématiques et tenir bon dans la tempête ?

Si l’objectif recherché est celui d’élever le niveau scolaire en mathématiques de nos élèves, nous pensons plutôt qu’il y a lieu de  chercher à :

  • procéder à un recrutement ambitieux de professeurs des écoles, en nombre et en qualité (contrairement aux nouvelles modalités de concours et de formation prévues pour 2025)
  • mettre en place une formation initiale et continue adaptée et conséquente
  • améliorer les conditions d’enseignement (effectifs élèves, effectifs PE et maitre sup, espaces de travail et matériel pédagogique..) et bien sûr de remplacement.

Pour aller plus loin

Le courrier intersyndical adressé au recteur, à télécharger et diffuser

Une ressource utile à lire: une publication de l’Institut de recherche sur l’enseignement des mathématiques de Grenoble en 2018
EXTRAIT: Ils ont mis en évidence que les manuels de Singapour étaient très traditionnels, qu’ils étaient destinés à servir de livre de référence sous l’autorité d’un enseignant traditionnel et qu’ils comportaient beaucoup d’exercices pour les élèves (National Science Foundation, 2001). Ceci est assez différent des conclusions de l’étude AIR (AIR, 2005) mentionnée plus haut. Bien que le rapport de la NSF affirme que la qualité et la rigueur des mathématiques dans les manuels de Singapour sont élevées, il est ajouté que : Alors que les mathématiques dans le curriculum de Singapour peuvent être considérées comme rigoureuses, nous avons remarqué qu’elles n’engagent pas souvent les élèves dans des compétences de réflexion d’ordre supérieurs… Les élèves de Singapour sont rarement, voire jamais, invités à analyser, refléter, critiquer, développer, synthétiser ou expliquer. La grande majorité des tâches du curriculum de Singapour est basée sur le calcul, ce qui renforce uniquement le rappel des faits et des procédures […] mais nous pensons qu’il décourage les élèves de devenir des apprenants autonomes (p. 8). Ce type de caractérisation du curriculum singapourien est assez souvent mise en avant. L’étude AIR (2005) avait d’ailleurs également mentionné le manque de compétences de réflexion d’ordre supérieur dans le programme scolaire singapourien. Cependant, nous pensons qu’il est difficile de concilier le fait que les élèves qui sortent d’un système qui n’encouragerait pas le higher order thinking seraient les plus performants au monde en mathématiques. Les tests TIMSS ne doivent pas tester la mémoire ou des techniques uniquement apprises et appliquées.

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